photo de l'artiste peintre alex'sandra
 
Genèse

Il y a ce qui affleure

Il y a ce qui affleure.

Les pigments qui se délitent, parcourent le format, se déposent. Les couleurs qui font leur chemin, dont j’infléchis à peine le cours, contraintes par leur essence et le cadre de leur support. La toile est un chantier dont chaque parcelle devient le fragment d’une reddition. Des alliances s’opèrent, des masses  s’imposent, des répulsions forcent le travail dans une direction contradictoire. Il y a l’eau qui court, qui ruisselle, qui contourne, qu’on contrôle et qui échappe. S’échappe vers un devenir inéluctable.

Je voyage, je parcours mes toiles, prenant des notes ici ou là comme on esquisse au gré d’une balade sur un carnet, une ligne, une courbe, un trait, qui plus tard rassemblés formeront un tout. Je dépose là un aplat, ici une touche, une goutte, qui vont s’écouter, s’apprivoiser, se fondre, se confronter, dialoguer, se rejeter, pour soudainement tout désorganiser et infléchir le cours des pigments au bord d'un désarroi.

Je travaille vite, dans une urgence nécessaire.
À quoi ? Je l'ignore. Et cette question me bouleverse...

L'image que je cherche n’appartient pas à ce monde.

Il y a ce qui advient.

 

Alex’Sandra : Traversées
par Jean-Paul Gavard-Perret

Passage, trace, cheminement des pigments, des liants et de l'eau, la peinture d’Alex’Sandra parle de la mer, du ciel, de la terre et de leurs métamorphoses. Elle se dresse contre l’angoisse du temps en la transformant non sans tiraillements en espace de sérénité et de lumière : "Je plonge avec délices, avec effroi, dans la couleur et l'eau qui l'accompagne, la déborde ou la disperse. Mes émotions et mon attirance sensuelle vers une couleur, un pigment, une forme, une matière me guident » écrit l’artiste. La couleur reste majeure autant dans ses nuances que dans ses glissements, ses mouvements d’âme et de mer. L’artiste a parcouru celle-ci pendant sept ans sur un voilier avant d’ « accoster » à Sète. On comprend donc pourquoi - parmi son échéancier - le bleu tient une place majeure. Il permet de suggérer la violence et la douceur. Toutefois ce bleu (de Prusse) ne sert pas de métaphore à la mer mais plutôt à un sentiment océanique de la vie. Il devient une couleur « abstraite » (ou spirituelle) qui par delà son rappel aquatique ou céleste évoque une manière particulière d’exprimer les abysses de l’être aussi profonds, angoissants que source de sérénité.

L’oeuvre joue non seulement sur les tons mais sur les sons. Elle génère par ce qu’elle exprime du tumulte au silence. Son bleu saisit et devient source de rêveries qu’Alex’Sandra dirige sans qu’on le comprenne vraiment. Ces rêveries ne sont pas vagues. Elles invitent à l’interrogation. S’y devine (mais ce n’est là qu’une supposition) un goût particulier de l’artiste pour la littérature de Le Clézio. Elle partage avec lui le même amour de la mer et des ses mystères, des êtres et de leurs inconséquences comme de leurs espoirs. Mais la peinture permet à sa créatrice moins d’exprimer des idées que d’exprimer qui elle est et ce qu'elle ressent au plus profond de son être et dans sa relation au monde. En une époque troublée, envahie par un chaos d’idées et d’images l’oeuvre croît au devenir du monde. Elle refuse le désespoir.

Elle reste tout autant (et sans doute pour cette raison) inclassable. Son bleu participe d’un certain "métissage" mais il n’a rien d’exotique. Sa fascination vient d’un rejet de la représentation. L’abstraction est à la recherche d’une harmonie plus que d’un chaos. Pour Alex’Sandra la peinture n’est forte uniquement lorsqu'elle parvient à exprimer les premières sensations, les premières expériences, les premiers désappointements. Son travail plastique est une question de vie, conditionnée par un besoin intérieur. A ce titre elle pourrait faire sienne la phrase de Le Clézio : "De deux choses l'une: on risque de se faire avaler par la peinture ou par la mer. Si on se fait avaler par la mer, on meurt. Si on se fait avaler par sa couleur, on devient peintre". Et pas n’importe lequel. Celui qui à travers elle offre une traversée de la vie.

Le bleu devient le moyen de libérer la peinture de ses standards pour parvenir à une vraie communication à travers sa « matière ».
N’oublions pas en effet que selon Baudelaire « l’action est la soeur du rêve ». Chez Alex’Sandra les deux se joignent et font des émotions la seule source valable pour la connaissance des vérités universelles. La tâche de l'artiste revient donc à transcrire ses expériences internes par une peinture sismographiques au sein de techniques mixtes. Ces dernières permettent toute une possibilité de jeux de lumière et provoquent l'ouverture de forces cosmiques. Se discerne une forme de « syncrétisme » contre une explication rationnelle, scientifique du monde. Le bleu en ses correspondances quasi mystiques mais aussi sensuelles donne une harmonie plus profonde à la vision du monde. Nous sommes en présence d'un paradoxe. L'être reste absent dans l’oeuvre mais il est omniprésent par le regard que l’artiste porte et nous fait porter sur lui. Chaque toile devient l’"interface" entre soi-même et l'autre dans un échange de forces aussi telluriques qu’aériennes.

Quitter la peinture descriptive revient à se mesurer au monde. Alex’Sandra avance dans chaque toile pour lui donner un poids de vie et sa propre sensibilité. On ne sait s'il existe une peinture féminine mais celle de l’artiste garde des accents aussi sensoriels, profonds que cosmiques qui n'appartiennent qu'à elle. Celle qui est née au Maroc dans un bain de lumière, celle qui a parcouru le monde ne cesse de redessiner des lieux profonds et ailés empreints de paradoxes et d’interrogations. Le bleu de Prusse fait de ses oeuvres des créatures, des abandons. Il arrache au froid comme au feu où (qui sait ?) crépitent les épouvantes de l’artiste. Mais il déchagrine tous les morceaux d’angoisse, ces petits os de furie. Le bleu reluit aussi comme un soleil. Il abrite les colombes et les douleurs dans l’espoir de la présence de la lumière vivante. Emanant de la pénombre féminine il porte jusqu’à la transparence une épaisseur et la mémoire non des mythes mais de la nostalgie de l’Un.

La peinture devient une opération d’amour. L'énigme de la femme-terre et de la femme-mer est non seulement un mystère mais tout un savoir qui va de l'anthropologie à la cosmologie. La peinture d’Alex’Sandra est aussi une image de l'âme ou d’une essence en perpétuelle élaboration poétique. Le rapport qu’entretient l’artiste avec le bleu reste en conséquence un rapport à elle même et au sacré. S’agit-il d’une sorte de nostalgie d'un ordre spirituel dont l'essence est, de rester inaccessible ou en tout cas inaccompli ? On peut aussi faire l'hypothèse qu’une telle quête peut se comprendre comme un mouvement de retour par la mer vers la mère, laquelle règne jusque dans le corps et dans le nom de la terre amante et marâtre.

Au terme de ce retour, dans l'instant d'une rupture que propose chaque tableau, la peinture nous laisse démunis, en proie à une angoisse comme à une sérénité. L’oeuvre possède la valeur d'un acte de foi existentiel. La mère, parce qu'elle est un éternel passé, n’en constitue plus pour autant un éternel présent parfaitement clos, sans échappatoire possible. Alex’Sandra la transmuant en mer elle devient ouverture. Et l’artiste réabsorbe le monde en une féminité élémentaire et une sensualité extrême liées à l’aspiration mystique. Son bleu devient ObscurOuvert, clarté d’ « archi-mer » à partir de laquelle toutes les voies d'accès conduisent au sanctuaire de la maternité en une sorte d'union mystique, religieuse mais aussi tellurique et incarnée.

Nouvelle période
Traversées duelles
« Réduire la pensée, instaurer la présence »
Eckart Tollé

Traversées duelles est une double recherche : un travail sur le dialogue de deux formes et un autre sur l'ombre et la lumière. Travail avec des techniques mixtes sur papier ou sur toile libre tendue sur châssis : matières minérales, pigment, acrylique, huile, encre, pastel à l'huile.
Deux formes traversent le support, elles s’écoutent, s’écoulent, se rejoignent, s’attirent,
se repoussent parce que les matières et les pigments fusent, imprègnent, pénètrent les surfaces épousant ou non les contours : je joue, j’explore jusqu’à ce que mon âme soudainement chante, émue, rieuse, par la grâce d'une masse, d'une ligne, d'un point,
d'une valeur, d'une forme informelle, qui se met à résonner, sonner, re-sonner, avec l'autre.
Ce dialogue de deux formes en crée une troisième, centrale, par défaut :
le mitan, puis " 5 espaces qui, animés ou non, selon les pénétrations de l'un ou l'autre soit par le trait soit par la couleur qui s'y épand, interrogent sur une question de territoire ".

Duelles : comme le singulier représente l’unité et le pluriel en désigne plusieurs,
le duel signale que les éléments en question vont par deux.

Traversée duelle # 23-1 et 2, acrylique, brou de noix, encre de chine sur toile, 2 x 4m x 1,60m



"Chaque toile est une chambre de voyance dans laquelle le voir se donne comme révélation de ce que le particulier fomente dans ses jeux de doubles. Surgissent en son milieu des architectures improbables, complexes, subtiles de volumes,
de plans, de chromatismes.
Les formes doubles créent l’articulation. Celle-ci crée de nécessaires tensions entre les contours, les coulées, les imprégnations de pigments, leurs infusions.
Le support retient ou écarte. Il produit lui aussi des couleurs par réflexion.
La peinture est le champ actif d’une imprévisible expérience visuelle. La peinture d’Alex’Sandra échappe à l’immuable et à ce qui change. Elle est au milieu,
à la jonction.
Elle invente un lieu qui n’est ni le propre, ni le figuré.
L’image devient la fixation de ce qui n’est jamais fixe.

"Alex’Sandra propose son langage à celui qui regarde.
A lui de se laisser embarquer si ce qu'il voit le prend. Corps et âme."
Jean-Paul Gavard-Perret

Texte de Jean-Paul Gavard-Perret, Docteur ès Lettres, enseigne à l’Université de Savoie (Chambéry). Membre du Centre de Recherche Imaginaire et Création, il est spécialiste de l’Image contemporaine et critique d’art. Il poursuit une réflexion littéraire et artistique ponctuée déjà d'une vingtaine d'ouvrages et collabore à de nombreuses revues.
 
L'émotion, la vibration de l'âme, la vie,
la quête de l'équilibre…


Exploration, expérimentation : mon expression est spontanée, impulsive, libre.
J’aime la simplicité d’utilisation de l’acrylique, sa mise en oeuvre rapide qui me permet cette expression. Elle réussit à être à la fois transparente ou opaque, légère ou épaisse réunissant les caractéristiques des autres médiums. L’aspect laiteux des liants acryliques avec lequel je lie les pigments en poudre disparaît en séchant, laissant alors,
plusieurs heures après, le travail projeté sur la toile apparaître, les transparences se dévoiler. Avec les pastels à l’huile, c’est la matière et l’écriture que je recherche
et leur mélange, en superposition ou en juxtaposition,
provoque des attirancesrépulsions jubilatoires qui m’enchantent.


Ce qui me captive, ce que je poursuis, c’est ce qui advient, c’est l’instant suspendu,
cette seconde qui peut durer plusieurs minutes, ces secondes qui passent où l’on se sent vivant. Etre présent uniquement à l’instant qu’on vit qui est la somme de son passé
et de son avenir, une résultante, une ligne de calcul parce qu’un chemin, le sien, à soi.
Mon maître de Taï Chi parle de la délicatesse que doit avoir le geste en le comparant
à l’infime poids du colibri qui se pose sur la branche. Infime et pourtant immense :
le sien, à lui.
Quand cet instant surgit soudain sur la toile, le temps s’arrête : je suis là, tout est dit,
la mort est vaincue puisque je l’ai devancée.
Peindre : apprivoiser la mort ? Oui, pour dire avant de mourir.
Surtout ne pas avoir de regrets à cet instant-là. Le mien, à moi.


Techniques mixtes sur toile libre ou sur papier : matières minérales, pigment, acrylique, huile, encre, pastel à l’huile, liant.

Origines

Née à Casablanca où 9 années lumineuses d’une enfance dans les couleurs chaudes du Maroc m’éveillèrent à la vie. Etudes à Paris, entrecoupées de voyages en Asie, en Afrique : danse contemporaine, photographie et cinéma, l’image en mouvement et sa transcription dans l’écriture de scénarios. Envol sur le monde,
7 années en voilier, des années de rencontres, d’échanges, découvertes de pays, de gens, de civilisations. Installation dans le sud, les Beaux-Arts de Sète et l’expression de soi par les formes, les couleurs, les matières, les outils qui vont du délicat petit gris à la large spatule de maçon.

Ces années d’errances bienheureuses d’îles en continents se redessinent grâce aux mélanges de ma palette, la violence de la mer comme sa douceur. En parallèle, tiraillée entre la nécessité et la difficulté, noyée entre le rêve et l’inaccessible réel,mes Déchirures apparaissent sur la toile, mes Paradoxes prennent corps. L’empreinte, la trace de mes sensations, genèses de l’émotion, la quête de l’équilibre sont au cœur de ma démarche. Je les traduis par mes Electrocardiogrammes : les hauts et les bas, les vibrations de mon âme comme celles d’une musique qui m’émeut ou d’un émoi qui m’étreint. Tous ces travaux se croisent, se rejoignent, s’attirent et se repoussent, se répondent comme ils s’interrogent les uns les autres.

Et un travail sur une seule couleur, le bleu de Prusse, m’emporte sur des rivages aussi obscurs que lumineux, du chaos à la sérénité, en passant par un no man’s land que Michel Berger aurait peut-être nommé « Paradis blanc » moi qui peins depuis le 1er jour sous la protection de ses mots :
« et comme le bateau porté par sa voile, doucement le pinceau glisse sur la toile ».

 
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